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CORRESPONDANCE INÉDITE DU

C’est alors que paraît la bouffonne figure du père Jean-Baptiste, gardien des capucins de L’Isle-sur-la-Sorgue. Le frocard est venu à Paris avec des recommandations du commandeur et de la tante abbesse. Il débarque chez la marquise qui fait honneur au billet d’adresse plus qu’au personnage ; il se fait tout conter par le menu, s’embrouille en flatteries et en sermons, loue et blâme au hasard avec l’importance d’un provincial qui se souvient après dîner du caractère dont il est revêtu ; il sort enfin en titubant avec une admonestation, un benedicat vos et une courbette, mais court aussitôt chez la présidente, pour qui il a également des lettres écrites d’une autre encre. Là, il plaide chaudement en faveur de la détention du marquis et dit qu’il faut tirer madame de Sade de son égarement. Il disparaît enfin pour ne plus donner de nouvelles. On court à la capucinière de Saint-Honoré où il était logé : il est parti et mademoiselle de Rousset fait cent brocards sur les capucins, leur amour du jeu, du vin et des filles.

La marquise s’irrite des longueurs que subissent ses demandes. Ce n’est point son métier de solliciter et le sang lui bout devant le flegme qu’on lui oppose. Sa compagne la réconforte. « Mademoiselle de Rousset est devenue, dit-elle, une autre moi-même. » Elle ignore encore jusqu’à quel point celle-ci prend la chose à la lettre et s’entend à la suppléer auprès du marquis, mais elle le saura un jour et cette révélation ne changera que pour un temps ses dispositions envers sainte Rousset. Elle en a avalé et digéré bien d’autres ! Mademoiselle de Rousset parle sans en donner la raison, de ses piques avec le captif, mais continue à faire pour lui des chansons provençales. On a dit à M. de Sade qu’elle était partie et il en a paru fâché parce qu’elle avait juré qu’ils ne s’éloigneraient qu’ensemble. Bientôt elle ne reçoit plus de lui que des injures.

Mademoiselle de Launay, sœur de madame de Sade, meurt brusquement à Paris de la petite vérole compliquée d’une inflammation au bas ventre. Madame de Montreuil éprouve un grand chagrin de la perte de sa fille préférée et Rousset exprime de façon assez choquante l’espoir que cette mort la fera rentrer en elle-même. On dit à la Coste que le décès de mademoiselle de Launay sera favorable au marquis, mais Gothon, qui sait à quoi s’en tenir, croit que cela ne fera ni froid ni chaud. L’ardente et volage Gothon fait maintenant écrire ses lettres par un maître de musique, protestant et mauvais sujet. La Jeunesse est travaillé par la jalousie.