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MARQUIS DE SADE — 1778
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Le marquis n’assure Gaufridy de sa confiance que pour mieux prolonger l’équivoque. (Sans date).

Je vous assure, mon cher avocat, que vous avez bien mal compris ma phrase, si vous y avez découvert de la méfiance, et je ne sache rien qui en ait moins l’air que de vous dire que j’ai toujours reconnu en vous la plus grande délicatesse à me mettre au fait de votre correspondance avec madame de Montreuil[1].

N’est-ce pas vrai ? Ne l’avez-vous pas fait ? Dernièrement encore ne m’avez-vous pas fait voir une de ses lettres ? Je suis donc fondé à vous louer de cette confiance et je ne puis concevoir en quoi cette expression a pu vous choquer. Je vous assure que vous avez bien tort et que ça n’a jamais été mon intention.

Vous allez à Aix. Si j’avais de la méfiance, croyez-vous qu’il ne me serait pas venu dans la tête que ce voyage n’a rapport qu’à moi et qu’il y a quelque chose en l’air. Je vous proteste, cependant, que cette idée ne m’est pas venue. Je vous prie d’y voir, sans faire semblant de rien, M. de la Tour et de savoir de lui ce qu’il pense de mon évasion et si je puis espérer ici un peu de tranquillité. Je compte sur votre amitié pour me rendre exactement ce qu’il vous aura dit, et j’espère que vous lui ferez sentir quel mauvais effet ferait un esclandre dans ce moment-ci. J’ai assez souffert ; il me semble que six ans, c’est bien assez. La détention d’ailleurs ne m’a jamais rien valu ; elle m’aigrit, elle m’irrite, [vous] le savez, et on s’est toujours bien trompé quand on a cru qu’elle pouvait produire un bien chez moi. D’ailleurs ma présence est indispensable à mes affaires, vous pourez vous-même en rendre compte à ce magistrat et, en lui disant comme je me conduis, lui faire très facilement sentir la nécessité et la justice qu’il y a à me laisser tranquille……

À propos, mon cher avocat, je vous dirai comme vous me dites. « Vous concourrez, dites-vous, toujours à tout ce qui pourra m’être utile et avantageux ». Mais quelle étendue donnez-vous à cette phrase ? Madame de Montreuil regarde comme fort utile et avantageux que j’aille en prison ; moi je regarde le contraire comme fort utile et fort avantageux. Est-ce d’après moi que vous penserez ou d’après elle ?… Vous sentez que ma question n’est qu’une plaisanterie et simplement pour vous faire voir qu’on peut donner à une phrase toutes les interprétations qu’on veut.

Par la lettre de madame de Sade à Reinaud, il paraît que c’est de M. de la Tour que je dois me défier puisqu’elle dit à Reinaud : « Quelqu’un que vous voyez a envie de le faire reprendre ». Ce quelqu’un que Reinaud voit ne peut être que M. de la Tour, et s’il le faisait ne se perdrait-il pas à jamais en faisant voir à toute la province que mon jugement n’a été que de faveur ?

  1. Le marquis ajoutait que madame de Montreuil lui montrerait un jour toutes les lettres de son régisseur et qu’il y reconnaîtrait avec joie « les tendres soins de l’amitié et les preuves constantes de la fidélité sincère ». L’avocat a senti l’intimidation, qui est grossière, et l’ironie, qui est féroce.