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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


sais quand. Lisez-la cependant avec attention et j’espère qu’après vous serez un peu moins étonné.

En vous quittant, nous fûmes coucher au Pont-Saint-Esprit, ce premier jour mes guides m’observèrent avec la plus scrupuleuse attention ; le lendemain nous soupâmes à Valence et je remarquai que les soins diminuaient en raison de ce que nous nous éloignions davantage ; à peine fûmes-nous arrivés le second jour, que l’inspecteur chargé de ma conduite me fit entendre en termes assez énergiques que mon retour à Vincennes n’était qu’une affaire de pure formalité et que, si je voulais m’y soustraire en donnant à ma fuite tout l’air d’une évasion non concertée, j’étais le maître ; qu’eux de leur côté donneraient aux démarches qui suivraient cette évasion tout celui d’une poursuite rigoureuse, et que, ces deux objets remplis, en observant chez moi une conduite telle que devaient naturellement me la prescrire les malheurs que j’avais éprouvés, je n’y aurais plus rien à redouter.

Je n’ai pas besoin de vous peindre l’impression que fit sur moi ce discours. On ouvre enfin les yeux, me dis-je, enfin l’on sent de quelle gaucherie serait ce retour en prison ; pour une formalité, soit ; mais pour une réalité, quel être assez mon ennemi, assez celui de tout ce qui m’entoure aurait pu la comprendre ; l’exécution d’un projet aussi imbécile pouvait-il tomber sous le sens ? Quoi ! des juges éclairés, ennemis de la fourberie et du mensonge vengent l’honneur d’une famille outragée par les satellites à gages du tyran qui désolait la France sous la fin du dernier règne[1] ; ils cassent cette procédure inique, fruit odieux d’une aveugle subordination et d’une absurdité criante ; on réinforme sur les atrocités qu’il a plu à cette séquelle d’intenter contre un homme d’honneur que mille raisons semblaient mettre à l’abri de cette vexation réprimandable ; les faits contenus dans la procédure reprise n’offrent plus, au lieu de cette suite de calomnies digne de conduire leurs auteurs à l’échafaud, qu’un simple dérangement de jeunesse sur lequel un corps respectable de magistrats, auquel il semble que l’autorité souveraine se plaise à marquer sa confiance par les affaires épineuses dont elle le charge ; sur lequel, dis-je, les magistrats intègres ne prononcent que la plus légère des peines ; et lorsqu’il semble que je doive jouir de cette espèce de considération que donne ordinairement le retour de l’honneur à ceux qui ont eu la disgrâce de se le voir injustement enlevé, lorsqu’il paraît essentiel de faire dire à toute la province que mes prétendus crimes s’évanouissent avec l’arrêt qui en fait éclater le néant, on me restreint, on me punit, comme si j’étais encore coupable et comme si ce jugement, qui n’est le fruit que de mon innocence et de l’intégrité de mes juges, devenait l’ouvrage de la faveur ! Quoi ! lorsqu’il semble que le plus parfait accord devrait sur mon sujet régner entre la cour et le parlement et que de cet accord seul doit résulter le retour de cette considération si importante pour ma famille et pour moi,

  1. Maupeou.