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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


fils de Lions, qui recevra la réponse. La présidente se flatte encore d’intimider la fille et au besoin de tourner les parents contre elle, en la menaçant de leur faire savoir des anecdotes de 1774 « avant le voyage de Bordeaux ». La première missive d’Annet Sablonnière est une lettre de paysan avare et dévot, d’ailleurs intéressante par un curieux mélange de généralités, de sentences morales et de petites préoccupations matérielles qui donnent un assez bon exemple du classicisme inné de notre bas peuple ; mais la seconde est d’une autre encre. L’homme se sent appuyé : il se plaint rudement et non sans noblesse, il invoque la justice du roi, les libertés du royaume et exige le dû des pauvres. En dépit du crédit de la présidente et des complaisances d’un ministre, il n’est pas si aisé de tenir une créature de Dieu à l’ombre des cornettes d’une sœur geôlière et, somme toute, les moyens d’oppression qui ont besoin de la complicité du pouvoir et du silence sont peut-être moins sûrs que ceux qui naissent de l’abus du droit de parler. On finit par tout rejeter sur le ministre lui-même, mais la marquise, qui n’a cure de Nanon, n’est pas si prudente et ne sait pas tenir sa langue quand l’occasion lui est donnée de la déchevêtrer : dame Nanon est une coquine de premier ordre ; il est arrivé de là-bas des gens qui disent le diable ; quelqu’un souffle le feu de tous côtés ! Le ministre est fort ennuyé de cette histoire.

Le temps passe sans avancer les affaires du marquis. Il a été malade : on peut imaginer son état. Une correspondance échangée entre sa femme et lui a été saisie, mais personne n’est compromis. On décide enfin que la cassation sera portée au conseil des dépêches, malgré son incompétence, et madame de Montreuil, avant de partir pour son château de Valery-en-Gâtinais, a reçu des avis favorables de chacun des ministres qui le composent. Le seul point qui occupe encore la présidente est de savoir comment on obtiendra que le renvoi, s’il est prononcé, soit fait au parlement d’Aix, bien qu’il ait déjà connu de l’affaire, et comment le marquis pourrait être dispensé de représentation, malgré la contumace. Le moyen le plus sûr et le plus subtil serait de le faire passer pour fou ou d’exagérer sa folie afin qu’on l’interroge par commission rogatoire. On en décidera au retour de la cour de Fontainebleau. Madame de Sade, qui n’entend rien et ne veut rien entendre à ces finesses de procédure, exige de son côté la liberté immédiate et fatigue tout le monde de ses demandes. La famille a dû supplier le ministre de lui opposer un refus et de garder la personne sous clef.