Page:Sade, Bourdin - Correspondance inédite du marquis de Sade, 1929.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
MARQUIS DE SADE — 1777
75


Il faut la croix et la bannière pour l’expédier enfin à Bordeaux par une occasion. La présidente veut savoir quel est l’âge de ce petit.

Les instructions que madame de Montreuil donne à Gaufridy sont pleines de signification et de mystère. Elle s’inquiète fort d’une chambre d’où il faudrait faire disparaître des pièces à conviction dangereuses. Elle revient sur les coûteuses précautions que M. de Sade et sa femme ont prises de se faire clore de murs et de bâtir un pont pour rendre leur château inaccessible. Elle parle d’une « compagne » qui était en secret au château, mais seulement pour dire qu’elle mettra ce qu’elle en a appris sur le compte des bavardages de la Treillette et les lettres ne contiennent rien de plus sur cette énigmatique hôtesse du marquis. Dans une lettre du trois juin, la présidente marque son intention de retarder la sortie de Nanon « pour divers motifs qui ne dévoilent pas le véritable », et fait, à son sujet, diverses allusions à de compromettantes découvertes qui ont été faites à la Coste, notamment celle des « petites feuilles », et aux mesures à prendre pour en anéantir jusqu’au souvenir. L’avocat s’en est vraisemblablement acquitté, bien que madame de Sade lui ait tout d’abord refusé la clef du cabinet du marquis, qu’il lui a demandée sous un prétexte.

L’affaire de Nanon occupe tout spécialement madame de Montreuil. Le père de la séquestrée a fait sa plainte et l’intendant, M. de la Tour, charge son subdélégué, M. Laville, de savoir pour quelles raisons cette fille est retenue en prison et aux frais de qui. Nanon a réussi à faire instruire de sa position un de ses oncles, qui est curé d’un village d’Auvergne, par un missionnaire du jubilé à qui elle s’est confessée. Le curé a trouvé des protecteurs et de simples paysans vont opposer à l’ouvrage de madame de Montreuil une cabale qui la mettra en échec. L’intendant et un seigneur d’Auvergne se sont adressés au ministre. L’affaire est épineuse et madame de Montreuil feint d’offrir ce qu’elle ne peut plus refuser en chargeant Gaufridy d’aller voir la prisonnière et de lui faire prendre l’engagement de se taire si on lui rend la liberté. La fine mouche joue maintenant à merveille de la religion. Elle a dit à Lions qu’elle voulait entrer au couvent et il donne d’abord dans le « godam ». « Nanon embrasserait plutôt un cavalier », écrit l’honnête bourgeois dont l’imagination en ces matières ne va pas plus loin.

On veut éviter surtout que Nanon se rende dans la région lyonnaise, mais son père refuse de l’autoriser à se placer à Paris. Elle obtient la permission de lui écrire, mais la lettre est faite ou revue par le second