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CORRESPONDANCE INÉDITE DU


pour la faire arrêter. Vous sentirez dans ce que je vais vous dire la nécessité de le faire et de le faire fort vite.

Cette fille est cause de tout le train de cet hiver ; c’est elle qui a mis dans l’embarras de toutes les petites filles. En un mot c’est une créature fort dangereuse tant par ses manœuvres que par ses propos. Ma mère instruite de tout travaille maintenant à la faire enfermer (c’était le sujet de cette lettre mystérieuse que vous fûtes prié de me remettre cet hiver). Dans celle que j’ai reçue hier d’elle elle me mandait que c’était tout au plus l’affaire de quinze jours, m’enjoignant très expressément de la garder à vue et surtout de ne la pas laisser évader. Vous sentez donc d’après cela, monsieur, l’extrême nécessité qu’il y a de profiter de la circonstance. Je vais vous suggérer trois moyens pour la fixer. Je laisse à votre prudence le choix du meilleur. Le premier serait de profiter de la procédure que j’ai commencée et de la tenir en prison sous ce prétexte, jusqu’à l’arrivée de la lettre de cachet ; le deuxième de faire l’impossible à la renvoyer par douceur lui disant qu’il est de son honneur, pour se justifier de ce dont on la soupçonne, de rester encore quinze jours ou trois semaines dans la maison et que vous lui répondez qu’au bout de ce temps on ne lui fera aucune difficulté de lui donner son congé. Le troisième serait de lui faire effectivement son compte et de tâcher de la faire placer à Apt chez quelque ami sûr où l’on puisse l’avoir au besoin et où elle ne parlât pas.

De ces trois moyens, le premier me paraît le plus sûr, mais, quel que soit celui que vous choisissiez, je vous demande instamment d’en trouver un qui la retienne encore quelque temps, parce que cette fille irait se joindre à la cabale de Lyon et deviendrait fort dangereuse, que ma mère d’ailleurs me recommande avec les plus vives instances de la garder et que, si nous ne réussissons pas à cela, elle accusera encore M. de Sade d’être cause de ce que l’on n’a pas fait enlever cette fille tel qu’elle le désire et qu’elle l’a fort à cœur. Je vais tâcher, puisqu’elle est à la Maison-Basse, de la faire décider à vous aller trouver et dans le courant de la journée de vous faire passer son compte exact. Je vous conjure de faire réussir cette affaire, étant plus d’importance que vous ne pouvez penser. Je suis fâchée qu’elle arrive dans une circonstance où vous ayez déjà tant d’embarras. Tâchez qu’elle n’aille pas à Lyon. Songez que c’est très important. J’ai l’honneur d’être, monsieur, votre très humble et très obéissante servante.

M. de Sade, ce 21 juin 1775.

S’il était possible que Blancard pût nous donner un homme pour la conduire en sûreté à Paris entre les mains de ma mère j’en paierais bien volontiers le voyage. Ce vol, la procédure commencée, l’envie de sauver cette fille et de la remettre entre les mains de ses parents (elle en a à Paris) tout cela ne pourrait-il pas faciliter cette voie ?……

Elle est à la Maison-Basse d’où elle vient d’écrire mille impertinences et horreurs, disant qu’elle va à Aix.