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SASCHA ET SASCHKA.

tandis que Sascha tenait ferme par l’autre bout.

— N’en prenez pas la peine.

— Je suis heureux de vous obliger. »

La lettre fut ainsi tiraillée de côté et d’autre jusqu’à ce qu’enfin elle demeurât entre les mains de Zagoinski. Dans son désespoir, le curé aspira une prise de tabac, et Marga, dont les joues s’étaient vivement empourprées, but un verre d’eau. Zagoinski plaça la lettre devant lui, puis écrivit au crayon, sur le revers de l’enveloppe, le titre du livre. À l’instant même où il eut fini, deux mains se précipitèrent pour saisir la lettre. Sascha, plus habile que Marga, s’en empara et la cacha bien vite sur sa poitrine. Tous deux respirèrent alors librement, et le curé prit une seconde prise. De retour chez lui, il effaça avec de la mie de pain le titre de Manon Lescaut et envoya la lettre de Marga à son fils.

C’est ainsi que les fiancés continuèrent à communiquer entre eux, soit que le curé se rendît au château avec une lettre de Saschka, soit que la jeune fille allât elle-même la chercher, sous prétexte de rendre visite à dame Homutofko.

Dame Zagoinska fut fort surprise de voir que pendant cet hiver Marga ne voulut ni danser ni aller au théâtre. Elle en était d’autant plus contrariée qu’elle avait conçu un plan, que l’étrange conduite de sa fille l’empêchait de mettre à exécution.

Le beau, noble et jeune baron Piontkowski, qui jusqu’alors avait habité la capitale, venait d’arriver dans le pays afin de gérer lui-même la propriété qu’il devait posséder un jour.