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LA MÈRE DE DIEU.

elle était absorbée au point de ne rien entendre de ce qui se passait autour d’elle. Elle inclinait en avant son beau visage pâle, comme pour écouter ; mais son regard était pensif et morne, et elle ne faisait aucun mouvement.

Que Nimfodora fût debout ou qu’elle marchât, elle tenait toujours ses mains attachées à son corps, comme si elle eût craint le contact de tout ce qui l’environnait. Sabadil lui parlait rarement, et toujours en peu de mots. Elle le regardait fort peu, bien que les yeux de Sabadil fussent maintenant constamment fixés sur elle. Mais, lorsqu’elle le regardait, c’était avec un calme, une sympathie qui lui faisaient du bien, qui le réjouissaient. Sabadil n’éprouvait pas de passion à considérer cette fille pâle et triste ou à penser à elle ; non, c’était plutôt un grand soulagement. Elle lui plaisait.

Il se sentait heureux et calme en sa présence. Mardona le rendait fou, faisait bouillir son sang par son regard ; Nimfodora, elle, le calmait, apaisait la fièvre qui lui brûlait le cerveau. Dès qu’elle paraissait, il lui semblait qu’un son d’orgue traversait la chambre, et, là où elle se trouvait, il entendait la forêt bruire, les ruisseaux gazouiller, les oiseaux chanter ; il voyait luire le soleil effaçant les grandes ombres.

Sabadil l’aimait. Et il n’osait se demander si elle répondait à son amour. Elle était comme une fleur, s’ouvrant et embaumant à l’ombre, dans la solitude. Elle ne parlait pas, comme s’il ne se fût pas trouvé de paroles pour exprimer ses pensées. Lui, Sabadil, ne comprenait pas ce calme triste, ni le regard énigmatique de ses beaux yeux rêveurs.