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LA MÈRE DE DIEU.

Mardona baissa ses paupières et sourit doucement.

Lorsque l’humble traîneau qui ramenait la Mère de Dieu, plus fière qu’un vainqueur romain, rasa dans sa course les premières maisons de Fargowiza-polna, un homme parut dans un chemin de traverse, se mit à courir après le traîneau, et cria si fort, que le juif arrêta ses chevaux. C’était Sabadil. Il était venu là, attendre sa bien-aimée, le cœur serré ; et, maintenant qu’il la retrouvait saine et sauve, il était si joyeux et si ému, qu’il se sentait incapable de lui parler et de lui adresser des questions. Et aussi, à quoi bon ? Il savait qu’elle était sauvée. Ne le voyait-il pas à son visage radieux ? Et elle, ne le lui laissait-elle pas sentir par mille petites faveurs, tandis qu’ils étaient assis l’un près de l’autre ? Mardona était gaie. Elle riait comme une enfant. Elle eût voulu égayer tout le monde, avant tout Sabadil, puisqu’elle l’aimait de toute son âme.

Le même soir encore, Mardona fit appeler auprès d’elle la malheureuse Sofia. Elle attendit sa victime, assise sur sa chaise haute, parée de tous ses atours et entourée de ses partisans.

Sofia arriva, non plus douce et résignée, comme à l’habitude, mais sombre et haineuse. Son beau visage pâle était coupé de deux larges cicatrices qui s’étendaient sur son front et sur sa joue.

« Que me veux-tu, Mardona ? demanda-t-elle d’une voix aigre, sans détours.

— Je veux te dire, Sofia, ce que tu auras à affirmer au tribunal lorsque, tu auras à déposer contre moi, répondit Mardona d’un ton calme.