Page:Sacher-Masoch - Sascha et Saschka (suivi de) La Mère de Dieu, 1886.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
206
LA MÈRE DE DIEU.

Mardona saisit une peau de martre et lui en frotta le visage.

« Connais-tu cela, hein ? Ces peaux t’ont appartenu, Sukalou, continua Mardona, et tu me les as vendues plus cher qu’on ne te les achète en ville.

— Est-ce possible ? Mon Dieu ! voilà, on ne connaît pas toujours les prix courants.

— Tu m’as menti, tu m’as volée et trompée.

— Je suis un vieillard, Mardona. Souvent la mémoire me fait défaut, gémit Sukalou. Tu sais que je suis incapable d’une mauvaise action. Je passe mon temps dans le jeûne et la prière, tu le sais.

— « Et il vit des gens, assis dans le temple, et qui vendaient des bœufs, des moutons et des pigeons, dit Mardona, d’une voix forte et avec un œil sévère, et des changeurs et des banquiers. Et il prit des cordes ; de ces cordes il tressa un fouet, et il chassa avec ce fouet tous ces commerçants qui souillaient le temple avec leurs bœufs et leurs brebis. Il renversa les tables des changeurs et foula aux pieds leur monnaie, et il chassa les marchands de pigeons, en criant : « La maison de mon Père est une maison de prières : vous en avez fait une caverne de voleurs ! »

— Songe à ma mémoire, petite mère, à cette vieille mémoire qui me fait défaut, pleurnicha Sukalou ! Si je t’ai vendu les martres trop cher, je suis prêt…

— Silence !

— Je me tais. »

Et Sukalou, saisi d’une frayeur mortelle, prit une pincée de tabac, puis une autre, sans interruption, durant quelques secondes.