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LA MÈRE DE DIEU.

que les premiers hommes ont été chassés du paradis après leur péché. Mais personne, jusqu’à présent, ne t’a révélé le sens profond que renferme cette leçon. C’est un secret céleste que je vais te révéler, Sabadil. Tu sais que les premiers hommes mangèrent du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal. Aussitôt après, ils firent la distinction de l’esprit et de la chair. Cette différence établie en nous, c’est la malédiction prononcée sur le monde, et ce paradis d’où les hommes ont été bannis, c’est… la nature.

— Je t’admire, dit Sabadil. À t’entendre on croirait que ce n’est pas une paysanne qui parle, mais un prêtre du haut de sa chaire. Cependant, Mardona, tu ne sais ni lire ni écrire.

— Insensé ! il m’est donné, par contre, de lire dans les étoiles, et j’écris ce que je veux dans le cœur des hommes.

— Et comment tes Duchobarzen entendent-ils rappeler le paradis sur la terre ? demanda le jeune homme après une pause.

— En rendant, au lieu de la crucifier comme vous le faites, à la nature toute son innocence, toute sa virginité première, répondit Mardona avec assurance : Dieu nous a donné l’esprit pour dominer la nature, et non pour la martyriser.

— Tu as raison, dit Sabadil. Mais dis-moi encore, Mardona, pourquoi vous avez choisi la femme, cette créature capricieuse et faible, pour votre rédempteur, pourquoi c’est d’elle que vous attendez le secours ?

— C’est par la femme que le péché est entré dans le monde : la femme seule a le pouvoir de nous ra-