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LA MÈRE DE DIEU.

il y en a trop, infiniment trop », affirma Sukalou.

La moitié de la viande avait déjà disparu.

« Du reste, à mon âge, et faible comme je suis, la nourriture, c’est un détail. Parlez-moi d’un verre de vin. Voilà qui vous remonte un homme ! Et à ce propos… Oh ! il faut que je vous raconte le drôle de rêve que j’ai eu. Un rêve, mes amis, mais quelque chose d’étrange, quelque chose de vraiment surnaturel. Imaginez-vous que je me trouvais dans un désert, une vaste plaine de sable. On n’y voyait ni arbres, ni verdure, ni le moindre filet d’eau. J’étais tourmenté par une grande soif, oh ! mais une soif !… la langue me desséchait dans la bouche. Je pris peur. Je me sentais défaillir. Je criai à Dieu, dans mon angoisse ; je l’implorai de toutes mes forces. Et alors… un ange m’apparut. Non, non ; premièrement, je vis une grande lumière, une sorte de buisson de feu, grand comme le soleil. Et un ange sortit de cette lumière. Il avait des ailes blanches comme la neige, et il me parla d’une voix qui retentissait comme une harpe. « Sukalou, me dit-il, Ossipowitch a dans son garde-manger une bouteille de vin. Va vers lui, il t’en donnera un verre. »

— Ah ! s’écria le vieillard surpris, mais…, c’est vrai,… il y a là une bouteille… dans le buffet.

— Une bouteille de vin ?

— Oui.

— Peut-être tout cela n’était-il pas un rêve de Sukalou ! Peut-être ai-je réellement conversé avec un ange ! Et toi, me donneras-tu un verre de ton vin ?

— Si vraiment c’était un ange ?