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LA MÈRE DE DIEU.

« Pour tout il faut de l’exercice. Veux-tu avoir une forte tête, exerce-la ; veux-tu être vigoureux, travaille : Et moi, comment puis-je avoir un bon estomac, je te le demande ?

— Tu avales des mets qui en tueraient d’autres.

— Cela se comprend ; c’est la misère, la détresse qui m’y poussent. Et pourtant, que ne donnerais-je pas pour manger, par exemple, un bon morceau de rôti ? »

Il cligna de l’œil du côté du buffet.

« Mon Dieu ! oui, du rôti, ce serait une vraie manne pour l’estomac d’un pauvre homme, d’un vieillard. »

Sukalou n’avait pas dépassé la cinquantaine.

« Vois-tu, c’est une chose que je ne pourrai jamais m’accorder ; et où trouverais-je un homme assez bon, assez généreux, assez charitable, pour m’offrir cette friandise ? Cet homme-là, Dieu a oublié de le créer.

— Écoute, ma vieille, dis-moi, commença Ossipowitch aspirant une bouffée de sa pipe, ne nous reste-t-il pas un morceau de rôti d’hier ?

— Sans doute.

— Eh bien ! »

Il lui fit signe.

Anastasie apporta le rôti.

« Vraiment ! Que vois-je ? Un morceau de rôti, s’écria Sukalou, et quelle viande, sapristi ! Jamais je n’en ai vu de pareille ; jamais je ne pourrai manger tout cela. Songez que vous avez affaire à un malheureux qui a perdu l’habitude de se rassasier.

— Allons ! ne te gêne pas. Vas-y, mon vieux, et attaque ferme, si tu la trouves bonne.

— Ah ! je le crois que je la trouve bonne ; mais