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LA MÈRE DE DIEU.

huma avec mille précautions et une affectation infinie. Grâce à toutes ces manières, il était impossible de ne pas remarquer son nez. Ce nez n’avait pas besoin d’être en lumière pour attirer l’attention, du reste. Il était là, cela suffisait. Chacun le remarquait. Il étonnait tout le monde. Mais aussi quel nez extraordinaire ! On l’aurait pu croire destiné à autre chose qu’à éternuer, tant il était long, et mince, et pointu. Son extrémité, par contre, était légèrement tordue, comme s’il avait été pétri de mie de pain et qu’on lui eût donné une inflexion fausse.

« Cela fait du bien, dit enfin Sukalou en présentant sa tabatière à Sabadil, qui prit une pincée de tabac, par politesse.

— Le tabac, voyez-vous, continua-t-il, c’est la seule jouissance que puisse s’accorder un pauvre homme éprouvé de Dieu ; oui, mes chers amis, la misère est une triste chose. Tel que vous me voyez, c’est le tabac qui bien souvent me tient lieu de nourriture.

— Tu n’as rien mangé aujourd’hui ? demanda Anastasie.

— Et où aurais-je mangé ? s’écria Sukalou regardant furtivement à droite et à gauche dans la chambre, les narines frémissantes comme un chien en arrêt. Je n’ai pas de bois pour allumer un peu de feu. Et si j’avais du bois, je n’aurais rien à faire cuire. Pauvre homme que je suis ! Il y a longtemps que ma vache a péri, et mon jardinet est envahi par les mauvaises herbes.

— Parce que tu ne le cultives pas, dit Ossipowitch.

— C’est ma consolation cela, répondit Sukalou cli-