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LA MÈRE DE DIEU.

« Entre donc, Sukalou, lui cria-t-il.

— J’entre », répondit l’inconnu.

Mais il n’entra pas tout de suite. Quelques instants s’écoulèrent ; puis un long cou passa par l’ouverture de la porte. Après ce cou vint une redingote bleu clair extrêmement longue, puis une botte au talon usé, et enfin Sukalou en personne. Il resta près de la porte, tira de sa poche une petite tabatière d’écorce de bouleau, saisit une prise entre ses doigts, délicatement, et la huma d’un air vainqueur, comme s’il eût défié chacun d’en faire autant.

« Eh bien, qu’y a-t-il encore ? Crains-tu d’être assassiné chez nous ? demanda Ossipowitch, qui tout d’un coup devint éloquent. Viens donc vers moi, mon pigeon, et embrasse-moi. »

Le long et maigre Sukalou, qui, comme les hommes de haute taille, se tenait un peu voûté, s’approcha du vieillard et lui donna un baiser. Il dégouttait littéralement de piété, de béatitude, et marchait comme s’il eût eu de l’eau dans ses bottes. On était surpris de ne pas voir de traces mouillées sur les carreaux, à son passage.

Il embrassa tous les assistants l’un après l’autre, et, après chaque accolade, il essuya avec un immense mouchoir bleu son nez barbouillé de tabac. Lorsqu’il eut embrassé Anuschka, il s’essuya la bouche à deux reprises, cligna de l’œil et frotta son crâne dénudé de la paume de sa main. Il remarqua Sabadil, qu’il n’avait jamais vu. Il le considéra avec surprise, resta un moment debout devant lui, et, pour se donner une contenance, tira une nouvelle prise de sa tabatière et la