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LA MÈRE DE DIEU.

Mardona prêtait l’oreille, pensive, le menton dans la paume de sa main, échangeant de temps à autre un regard avec Sabadil, dont la voix sonore dominait celle des Duchobarzen, comme la mélodie d’un oiseau qui s’élève au-dessus des cimes des arbres de la forêt. La voix de Sabadil émut profondément Mardona, car pour les Petits-Russiens la musique est une vraie magie. Leurs chants populaires nous rapportent les plaintes des morts couchés sous les vastes tertres de la steppe, et les accents des esprits de la forêt, de l’eau et de l’air.

Sur ces entrefaites, le père de Mardona, accompagné d’un jeune homme, entra dans la chambre. Le vieillard se débarrassa à la hâte de son chapeau de paille et posa son bâton derrière le poêle. Puis il vint saluer sa fille et baisa sa main, qu’elle lui tendit avec majesté. Lorsqu’il remarqua l’étranger, il lui souhaita la bienvenue d’un signe de tête et engagea avec lui la conversation, c’est-à-dire qu’il écouta plutôt ce que Sabadil lui disait, en l’approuvant d’un geste ou en répondant : « Dieu soit loué ! » « Grâces à Dieu ! » tout en soupirant profondément. Nilko Ossipowitch, malgré ses soixante années, était un vigoureux et alerte paysan. Il n’avait pas un cheveu blanc. Il était très grand, comme sa fille, fort et majestueux. Il parlait avec lenteur, comme si chacune de ses paroles eût été un trésor qu’il fût obligé de déterrer.

Un signe de Mardona appela Sabadil à ses côtés.

« Tu es peut-être surpris, commença-t-elle, de nous voir tous si gais et si joyeux. Notre religion, vois tu, n’a rien de lugubre. Elle diffère en cela com-