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LA MÈRE DE DIEU.

— Tu es bien mis, continua l’étrangère : tu es sans doute riche.

— J’ai de quoi vivre », répondit Sabadil.

La jeune fille se tut. Elle traversa lentement le fourré et les touffes d’herbe, et se dirigea du côté de la forêt.

« Et toi, qui es-tu ? » demanda Sabadil qui l’avait suivie.

Pas de réponse.

« N’entends-tu pas ? Ne veux-tu pas m’écouter ? »

Toujours pas de réponse.

« As-tu du chagrin ? continua Sabadil ; pourquoi as-tu l’air triste ? Qui donc t’attire dans cette solitude ?

— Je fuis les hommes. Je viens ici chercher la béatitude, répondit la jeune fille. Je trouve ici la présence de Dieu. »

Une flamme passa dans les yeux bleus de l’étrangère, comme elle disait ces mots.

« Par ma foi, tu as raison, dit Sabadil ; on est mieux ici qu’à l’église. Moi, j’aime mieux le chant des oiseaux que les sermons du prêtre, et je préfère le parfum des fleurs à l’encens des églises.

— Tu as raison ! oh oui ! tu as raison, s’écria l’étrangère d’un ton vif, presque joyeux.

— Tu as quelque chose de singulier, dit Sabadil en l’examinant avec attention. Je ne puis imaginer que tu sois comme les filles du village, et que tu danses avec les garçons, sous les ormeaux, le dimanche. Non, vraiment, il ne me paraît pas possible qu’on te prenne par la taille pour te faire danser, et pourtant… oui, pourtant, comme tu es parée… et comme tu es belle ! Par Dieu ! tu es bien la plus belle femme que j’aie vue ! »