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CE QUE RACONTE UNE MÈRE

sante. Il avait dit à table qu’il aimait beaucoup le gâteau aux pommes. Je me trouvais à la cuisine où, les manches de ma casaque relevées, je battais la pâte de toutes mes forces. Il entra, et le mauvais sort fut rompu subitement. Avant que je m’en fusse aperçue, il se penchait par-dessus la table et baisait mon bras nu. Voyant que j’allais me fâcher, il trouva les paroles longtemps attendues. Ce fut une comique déclaration d’amour, que je reçus, le rouleau à pâte à la main ; mais j’avais le cœur soulagé comme si j’eusse été transportée à l’air pur sur la cime de la montagne et qu’une incommensurable étendue de pays se fût déroulée brillante à mes pieds, sous le chaud soleil doré.

Mon père donna son consentement ; mais nous restâmes fiancés longtemps encore ; c’était alors la coutume.

Andor — ton père, veux-je dire — venait nous rendre visite aussi souvent qu’il pouvait, et quand il était loin nous nous écrivions. J’avais même un journal dans lequel j’inscrivais par le menu tout ce qu’il disait, quelle cravate il avait et quelles sensations j’éprouvais, quand je l’avais vu disparaître au bout de l’allée de peupliers.

Les almanachs étaient de mode à cette époque et je portais de longues boucles comme les dames que représentaient les gravures et qui jouaient