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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

pas été terrassé par une grande infortune subite. Le mal dont il était atteint le rongeait, l’usait lentement, de jour en jour, sans lui laisser une seule minute de repos.

Il avait été abandonné par celle qu’il aimait et pendant toute une année il dut assister à la lente agonie de sa mère. Dès le premier jour où elle était tombée malade, il avait compris qu’elle était perdue pour lui ; mais cette perte n’était pas comme la balle ennemie qui couche tout à coup le soldat marchant résolûment en avant ; elle pouvait se comparer à la torture progressive que l’inquisition infligeait jadis à ses victimes pour leur arracher des aveux. Chaque heure était un pas de plus que sa mère faisait vers la tombe et les heures s’écoulaient lentement, inquiétantes comme l’éternité.

Depuis le matin de bonne heure jusqu’au soir, Andor était occupé au bureau de rédaction de la Réforme. Il travaillait à la partie politique et, dans sa douleur profonde, c’était pour lui une consolation de voir combien son savoir historique étouffé jusqu’alors sous la stérile poussière de l’érudition, mort en un mot, redevenait vivant, combien il était utile aux autres et à lui-même. Grâce à lui, le journal gagnait en autorité, en mérite, en esprit réel ; il atteignait ce degré de souplesse pratique,