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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

— Que Dieu me punisse si j’accepte de l’argent de vous, s’écria le visiteur avec dignité. Je suis un homme d’affaires solide et connu sur la place. Nous avons ce qui nous est nécessaire, Dieu merci, nous l’avons. Pour qui me prenez-vous, divine Belmont ? Je ne suis pas un mendiant ; je suis un enthousiaste. Hier soir, j’ai jeté à la pluie mon pardessus neuf doublé de soie, un pardessus de vingt thalers pour vous faire aller jusqu’à votre voiture à pied sec. J’ai des goûts élevés en matière d’art ; et si vous vouliez me donner une vieille pantoufle que vos pieds immortels ont portée, je m’estimerais heureux pour toute ma vie.

Valéria sourit et jeta nonchalamment sur le tapis un charmant petit soulier en velours rose comme son peignoir. Steinherz le ramassa si précipitamment que ses cheveux bruns, collés contre ses tempes avec de la pommade, se relevèrent en deux grosses touffes semblables à celles d’un hibou à grandes oreilles.

Il contempla un instant sa conquête avec un recueillement muet et dit ensuite :

— Un joli soulier, mais trop neuf, trop beau pour l’obéissant serviteur de votre divinité ; on dira : Steinherz ! il a acheté le soulier et il se moque de nous en prétendant qu’il a appartenu à la célèbre Belmont.