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LES PRUSSIENS D’AUJOURD’HUI

Le baron abandonna son élégant appartement de la rue du Roi, qui semblait plutôt fait pour une diva de théâtre que pour un hussard, et vint s’installer au premier étage chez madame Peneke. Sa chambre était large, très-propre ; mais il la considérait comme une bien pauvre chambre. Il congédia ses domestiques, passa son temps chez Ranzoni, à l’hôtel, au Jockey-Club, au théâtre, mangea la cuisine de la revendeuse et but l’eau de puits fraîche, en place de Rudesheimer. Tout cela était très-louable, mais cela ne suffisait pas.

Il aurait pu travailler, gagner de l’argent pour sauvegarder son honneur ; l’idée ne lui en vint même pas. Il était noble et par-dessus le marché officier. Toute sa morale, toute sa philosophie étaient basées sur le point d’honneur.

Or, le point d’honneur permet de faire des dettes, de ne pas les payer, de trouer même de son épée les créanciers, lorsqu’ils perdent patience ; il permet d’incommoder, de faire souffrir les honnêtes femmes — il y en a encore — et de tuer en duel le mari qui défend la sienne ; il permet en outre bien d’autres choses, le point d’honneur ; mais faire un métier honnête, c’est une honte qui atteint toute la classe des nobles ; et celui qui s’est montré indigne, en travaillant, doit être exclu de cette classe.