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— Et vous souhaitez la mort ?

— La vraie mort ? Oui.

— Qu’est-ce que vous appelez la vraie mort ?

— Une mort, monsieur, qui serait la fin des fins, par laquelle un homme vivant mourrait pour toujours, et non pour rester quelque temps en terre, après quoi il peut ramasser ses quatre membres et recommencer sur nouveaux frais !

— Il a peur de la vie éternelle, dit l’homme de carton en se penchant vers moi.

Tous les yeux s’étaient portés sur le vieillard. J’étais curieux de l’entendre, car nos paysans, qui n’ouvrent jamais un livre, sont des politiques et des philosophes-nés ; il y a de la sagesse orientale en eux, comme dans les pauvres pêcheurs, pâtres et mendiants des Mille et une Nuits auxquels Haroun al Raschid demande l’hospitalité.

— Au fond que vaut donc cette vie ? reprit le centenaire d’une voix basse, mais distincte. Vous autres, béjaunes, vous ne demandez pas mieux que de continuer. Celui qui a tout vu, tout vécu, tout souffert, celui-là… Il s’abandonna quelque temps à ses réflexions. — La vie éternelle, dit-il enfin, serait peut-être terriblement ennuyeuse ; mais je sais quelque chose qui m’inspirerait encore plus d’effroi.

— Et ce serait ?

— Ce serait de naître une seconde fois. — Il se mit à rire.

— Cette idée ne m’était jamais venue, dit l’homme de carton en pesant sur les mots ; le vieux a raison.

Le capitulant regardait dans la flamme avec des