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reste seul à table, libre de siffler pour me distraire, par exemple :

Minet qui perche sur un mur
Se plaint de minette au cœur dur.
Et voilà tout,
Je suis au bout[1].


On se dit : J’irai à la chasse, — à la chasse aux canards. Toute la journée, on barbote dans l’eau jusqu’aux genoux, mais on a la perspective d’un bon lit bien chaud. On rentre tard, on se glisse près de sa femme ; mais le gage d’amour fait ses dents, il pleure ; la maman vous quitte, on s’endort seul, si on peut s’endormir.

Puis vient une de ces années qui ne s’oublient pas : tout le monde est sur le qui-vive ; il y a quelque chose en l’air, chacun le sait, personne ne peut dire ce que c’est. On rencontre des visages inconnus. Les propriétaires polonais se remuent : l’un achète un cheval, l’autre de la poudre. La nuit, on voit une rougeur dans le ciel ; les paysans forment des groupes devant les cabarets, et ils disent entre eux : — C’est la guerre, ou le choléra, ou bien la révolution. — On a le cœur gros ; on se souvient tout à coup qu’on a une patrie dont les bornes sont enfoncées dans la terre slave, dans la terre allemande et dans d’autres terres encore. Que préparent ces Polonais ? On s’inquiète pour l’aigle qui décore le bailliage, on s’inquiète pour sa grange. La nuit, on fait la visite autour de sa maison pour s’assurer qu’ils n’y ont pas

  1. Chanson des enfants en Galicie.