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Tout le monde s’y soûla ; mon père y dansa la cosaque avec Mme Senkov. Dans la soirée du lendemain, — ils étaient encore tous, comme les morts le jour du jugement dernier, à chercher leurs membres, et ne les trouvaient pas, — j’attelai à ma voiture six chevaux blancs comme des colombes. La peau de mon ours, une fourrure magnifique, était étendue sur le siège, les pattes aux griffes dorées pendaient sur les deux côtés jusqu’au marchepied, la grosse tête avec ses yeux flamboyants vous regardait encore menaçante. Tous mes gens, paysans et cosaques, sont à cheval avec des torches allumées ; ma femme en pelisse rouge fourrée d’hermine ; je la soulève dans mes bras et la porte dans la voiture. Mes gens poussent des cris de joie ; elle avait l’air d’une princesse, sur sa peau d’ours, ses pieds mignons appuyés sur la grosse tête velue. Toute la troupe nous faisait cortège. C’est ainsi que je la conduisis dans sa maison.

Quelles absurdités, ce qu’on lit dans les livres allemands, « l’amour céleste, » puis cette idolâtrie des vierges ! Allez ! l’illusion n’est pas longue. Est-ce l’amour, cette niaise langueur qui vous attache aux pas d’une jeune fille ?… Lorsqu’elle fut ma femme, j’eus enfin le courage de l’aimer, et elle de même. Nos deux amours grandirent comme deux jumeaux. À la pana Nicolaïa, je baisais les mains, à ma femme les pieds, et les mordais souvent, et elle criait et me repoussait d’une ruade. — Ah ! l’amour, c’est l’union, c’est le mariage. — Au demeurant, n’est-ce pas tout ce qu’on a ? Voyez, s’il vous plaît,