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révélaient dans chacun de ses mouvements. Des cheveux bruns et lisses, une barbe pleine, coupée assez court et légèrement frisée, ombrageaient un visage régulier, bronzé par le hâle. Il n’était plus tout à fait jeune, mais il avait des yeux bleus pleins de gaieté, des yeux d’enfant. Une bonté, une bienveillance inaltérable était répandue sur ses traits basanés, et se devinait dans les lignes nombreuses que la vie avait burinées sur ce mâle visage.

Il se leva, et arpenta plusieurs fois la salle d’auberge. Le pantalon bouffant emprisonné dans ses bottes molles en cuir jaune, les reins ceints d’une écharpe aux couleurs vives sous un ample habit ouvert, par devant, la tête coiffée d’un bonnet de fourrure, il avait l’air d’un de ces vieux boyards aussi sages que braves qui siégeaient en conseil avec les princes Vladimir et Jaroslav ou faisaient la guerre avec Igor et Roman. Certes il pouvait être dangereux aux femmes, je n’avais pas de peine à l’en croire ; à le voir se promener ainsi de long en large, le sourire aux lèvres, j’éprouvais moi-même du plaisir.

La Juive revint avec la bouteille demandée, la déposa sur la table, et retourna s’asseoir derrière le poêle, les yeux obstinément fixés sur lui. Mon boyard s’approcha, regarda la bouteille ; il paraissait préoccupé. — Un verre de tokaï, dit-il en riant, c’est encore ce qu’il y a de mieux pour remplacer le sang chaud d’une femme. — Il passa la main sur son cœur d’un geste comme s’il voulait comprimer une palpitation.