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ficile à persuader et encore plus difficile à convaincre, esclave des vieux usages, lent en toute chose, mais ensuite donnant de tout le poids de sa nature lourde, comme un puissant rocher qu’il est malaisé d’ébranler, et que personne ne peut arrêter une fois qu’il roule.

Le lendemain, je voulus accompagner le comte. Je revis Marcella ; elle me parut bien changée. Elle était rêveuse, absorbée, comme dans l’attente de quelque chose d’inconnu. Parfois ses traits exprimaient une sorte d’étonnement, mais comme si elle fût en contemplation devant le monde intérieur qui s’épanouissait en elle. Je la vois encore assise avec le comte devant la chaumière sur le banc de bois, suspendue à ses yeux, à ses lèvres, altérée de savoir : ses paroles coulent sur elle comme des flots de lumière, ses pensées planent au-dessus de sa tête comme des étoiles, et entre eux vient d’éclore invisible la fleur enchantée de l’amour ; ils en aspirent le parfum et se sentent heureux.

— Seuls, les cœurs qui ont été purifiés par la douleur sont capables de bonheur, me dit le comte un jour en revenant assez tard de Zolobad. Ceux qui n’ont pas souffert demandent trop aux autres, tout en donnant peu. J’ai connu la douleur,… et de chaque épreuve je suis sorti meilleur ; mais pour être sauvé tout à fait j’avais besoin de rencontrer un vrai cœur de femme. Eh bien ! ce cœur, je l’ai trouvé dans Marcella. Elle aussi a beaucoup souffert. Quand je suis arrivé aujourd’hui, — j’avais devancé l’heure, et elle ne m’attendait pas, — on me dit qu’elle était