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— Et tu as du poison dans les veines, ajouta le comte.

— Que veux-tu dire ?

— Le dénoûment est tragique ; elle finit par l’empoisonner, la sorcière, par jalousie, je crois. C’est un avertissement. J’avoue que ces choses m’émeuvent ; mais la volonté peut forcer le destin. Va ! fais tes sortilèges ! Entre toi et moi, cela finira bien, comme dans le conte de ma nourrice ! Tu n’es point une sorcière, tu es le bonheur qui m’attend sur le seuil de cette chaumière ! Et je me présenterai quand le temps sera venu.

À partir de ce jour, Alexandre retourna tous les soirs à Zolobad, et je le laissais en tête-à-tête avec Marcella aussi souvent que l’occasion s’offrait. Il ne manifestait aucun trouble, vaquait à ses affaires comme d’habitude, se montrait insouciant et presque gai. Rarement il parlait de Marcella ; son amour avait quelque chose de chaste, de timide.

Un jour, je remarquai sur son bureau une excellente aquarelle de la Sibylle samienne, et je fus frappé de la ressemblance. — Oh ! dit le comte, si tu connaissais l’original ! Quand Marcella m’écoute, les mains croisées sur ses genoux, la tête inclinée à droite, coiffée de son foulard vert d’où s’échappent ses cheveux en ondes légères qui retombent sur les tempes, et le regard levé comme en extase, alors je crois voir la belle sibylle en chair et en os, dans sa sublime pureté, et surtout ses yeux, étoiles sombres où brûle une céleste langueur et comme une révélation divine. Et cette voix ! je ne me lasse pas de