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noble et pure, la Sibylle samienne du Guercino… Mais il est temps de partir.

Il se leva, embrassa sa vieille nourrice, serra la main d’abord aux deux paysans, puis à Ève et à Lise, caressa les enfants, et alors seulement il s’approcha de Marcella.

— Adieu ! lui dit-il.

— Que Dieu vous accorde tout bonheur ! répondit-elle, ses yeux tranquilles fixés sur les siens.

— Et qu’il te conserve telle que tu es ! répliqua le comte en déposant un baiser sur son front. — Elle tressaillit au contact de ses lèvres, mais elle le laissa faire. — Bonne nuit !

— Bonne nuit ! et portez-vous bien.

Nous traversâmes le village en silence jusqu’à la lisière de la forêt. Là le comte s’assit, et ses yeux cherchèrent le vieux toit de chaume sous lequel Marcella était née, et où s’écoulait sa vie si calme, si simple et si pure. Il resta longtemps sans parler, puis il dit à mi-voix : — Je l’aime.

— Alexandre !

— Que veux-tu ? Je n’y puis rien.

— Toi, un homme supérieur ! Et comme cela, sans crier gare !

— L’amour vrai naît du premier regard qu’échangent deux âmes, ou jamais…

— Un pareil amour n’est qu’une passion des sens.

— D’accord. C’est la base de toute affection profonde, hors de là pas d’amour, pas de bonheur ! mais il ne faut pas en rester là… Pardonne-moi, je