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— Que demandez-vous ? dit-elle de sa voix voilée en s’arrêtant à une certaine distance, et en nous jetant un regard ferme, presque hostile.

— Nous nous sommes égarés.

— Ne courez pas les bois, si vous ne connaissez pas le chemin, répliqua la jeune fille. — Elle dit cela d’un ton de réprimande.

Je gardai le silence, et me retournai vers le comte ; il paraissait absorbé dans une muette contemplation devant cette jeune fille, qui se tenait debout dans une attitude hardie, presque altière, comme si elle eût eu conscience de sa virginale royauté. C’était l’éclat de la pureté qui rayonnait de chaque pli de sa chemisette de neige, comme de toute sa personne et des traits de son visage. Elle était belle à coup sûr, mais non de cette beauté qui enflamme à première vue et éveille des passions orageuses ; sa beauté était d’une nature plus élevée, de celles dont la vue réjouit le cœur. Elle était grande, svelte, et pourtant toutes les lignes de cet admirable corps étaient souples, arrondies et pleines. Elle portait avec une grâce singulière le costume si coquet de nos paysannes, la jupe plissée et le corsage lisse de drap bleu avec la chemise bouffante. Son col et ses bras nus étaient bruns, ses mains portaient les traces du travail. Son visage, d’un ovale parfait, aux lignes harmonieuses, était aussi brûlé par le soleil, les lèvres étaient d’un rouge incarnat, des cheveux soyeux d’un châtain clair pendaient en boucles légères des deux côtés d’un front noble et pur, et retombaient derrière la tête en deux lourdes tresses