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que demeure ma nourrice ; mais je ne vois plus de lumière ; ils sont déjà couchés, n’allons pas les réveiller.

Nous n’avions pas fait cent pas que la bise nous apportait les notes d’une chanson qui semblait nous rappeler en arrière, une mélodie bizarre, et une voix plus étonnante encore. — Connais-tu cet air ? demanda le comte, qui s’arrêta.

— C’est la chanson du Hriciou[1].

À ce moment, la forêt se tut, les chiens dans le village et le hibou se turent également, les eaux seules continuaient leur mélancolique murmure, et il fut possible de distinguer les paroles, que cette mélodie pleine d’une langoureuse tristesse portait au loin.

Ne va point chez les fileuses
Qui veillent le soir ;
Car des œuvres ténébreuses
Sont en leur pouvoir.
Si tu vois monter la flamme,
C’est trop tard pour toi :
La vidma t’a pris ton âme,
Tu subis sa loi.

— C’est une voix de femme, dit le comte, une de ces voix d’alto qui semblent venir des profondeurs insondables de l’âme.

Et de nouveau les sons flottaient autour de nous comme des esprits amis qui auraient voulu nous avertir.

  1. Chanson populaire des Petits-Russiens de Galicie. Elle fait allusion aux veillées (vetchernitci), où l’on se réunit le soir pour filer, causer, raconter des histoires, égrener le maïs et se livrer à toute sorte de pratiques superstitieuses. — Vidma, sorcière.