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gosier, et la forêt semblait lui dire : — Tu as bien fait de revenir ! — Et, comme il arriva devant sa maison, il vit une jeune femme aux cheveux d’or qui était assise sur le seuil et filait, et à côté d’elle le chat ronronnait au soleil. Et il demanda à la femme aux cheveux d’or : — Qui es-tu ? — Elle le regarda avec ses grands yeux doux, qui souriaient, et répondit : — Je suis le Bonheur.

— Elle est fort jolie, ta légende, m’écriai-je.

— Je me la rappelai à propos, reprit mon ami. Le mal du pays me gagna. Je n’eus de repos que le jour où je revis notre clocher de bois avec sa croix grecque, et où le vieux Iendrik de ses mains tremblantes m’aidait à descendre de voiture, pendant que mon père, dans le premier trouble de sa tendre émotion, ôtait poliment sa casquette comme s’il saluait un étranger de distinction, pour se jeter ensuite à mon cou en pleurant.

Je trouvais bien du changement à la maison. Ma mère était morte. La solitude régnait au château, et la propriété était dans un état pitoyable ; mais j’étais chez moi. J’eus avec mon père une explication ; je le piquai d’honneur, il m’abandonna les rênes.

Dès lors je m’enterrai ici comme un blaireau dans son terrier. Je n’ai encore vu personne, ni parents, ni amis, ni voisins, pas même ma vieille nourrice, qui demeure à Zolobad, de l’autre côté de la forêt. J’étouffai en moi tout ce qui ressemblait à du sentiment, pour mener ici l’existence idyllique d’une machine à battre le blé. Nos domaines étaient non-seulement négligés, mais grevés de dettes ; je me