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Tout à coup elle entendit ses enfants dans le corridor ; elle ouvrit la porte, les bambins lui sautèrent au cou, et elle éclata en sanglots. Les malles restèrent ouvertes.

Vladimir fut trouvé dans le bois de Toulava ; c’est le lieu le plus calme à dix lieues à la ronde. Ce fut le garde champêtre de la commune, le capitulant Balaban, qui le découvrit en faisant sa tournée. Il était couché sur le dos, avec une balle dans le cœur et un pistolet à la main. Une lettre qui était dans sa poche prouvait qu’il s’était suicidé, et il fut enterré en dehors du cimetière.

Olga ne quitta pas son mari. Elle faillit perdre la raison ; plusieurs fois elle avait déjà chargé l’arme qui avait tué Vladimir, avec l’intention de le venger ; mais elle ne voulut pas renoncer à cette infernale jouissance de voir souffrir Mihaël, qui l’aimait toujours, qui la savait à lui, et perdue pour lui. ― Sa vie depuis ce temps a été une vie sans soleil. Son visage a pâli, son cœur est malade, et les nuits où la lune est dans son plein, il faut qu’elle se lève et marche sans repos…

La barina se tut pendant quelques instants. ― À présent, dit-elle enfin avec une touchante résignation, on me jugera,… et l’on ne me trahira pas. Oh ! je sais, dit-elle à un geste que je fis, je sais qu’on saura garder mon secret. Adieu, le coq a chanté deux fois, voici l’aube qui borde le ciel d’orient d’une bande laiteuse. Il faut partir.

Elle sortit lentement, étirant ses beaux membres, et relevant ses cheveux, qui donnaient des étincelles