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nent heurter contre le globe de cristal. Vladimir a ouvert un volume de Shakespeare, et Olga lit par-dessus son épaule.

« Juliette. ― Oh ! penses-tu que nous nous revoyions jamais ?

» Roméo. ― Je n’en doute pas, et tous ces malheurs serviront de thèmes à de douces conversations dans des jours à venir.

» Juliette. ― Ô Dieu ! mon âme est pleine de pressentiments de malheur ! Il me semble, maintenant que tu es si bas, que je te vois comme un mort dans le fond d’une tombe : ou mes yeux me trompent, ou tu parais pâle. »

Les mots qu’elle vient de prononcer la frappent comme un sinistre présage ; elle regarde Vladimir, qui en effet est affreusement pâle.

― Je ne puis continuer, murmure-t-elle ; je ne sais ce que j’ai.

― C’est l’air du printemps, dit Mihaël ; fermons la porte.

Olga sort un moment sur le perron, puis revient et remplit les tasses. Elle est assise en face de Vladimir. Son mari ne les perd pas des yeux ; pendant qu’il semble absorbé par la lecture de son journal, il remarque qu’ils échangent un regard de folle tendresse. Au même moment, il sent que le pied de sa femme touche le sien.

― C’est mon pied, dit-il simplement, ― puis il se lève, les traits horriblement contractés, et sort lentement.

― Tu nous as trahis, dit Vladimir à voix basse.

― Je le crains moi-même. Tant pis, il saura tout. Désormais je suis tienne, toute, toute à toi ! Vladimir lui prend la main, qu’il embrasse ten-