Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autour des vieux peupliers ; la nuit, les yeux verts du loup flamboient derrière la haie. Un beau matin, le soleil trouve une épaisse et molle nappe blanche étendue sur la plaine, les vitres sont aspergées de diamants ; les arbres et les toits dégouttent, les pierrots dévalisent l’aire en se disputant. Encore quelques semaines, et la neige demeure : alors on sort de la remise le traîneau avec sa poudreuse tête de cygne, et les peaux d’ours crient sous la baguette du cosaque. Le feu pétille dans les vastes poêles renaissance. De tous les côtés, comme des oiseaux de proie, les traîneaux fondent sur l’hospitalier château, les clochettes résonnent sur les routes, dans le vestibule s’entassent les fourrures. Les femmes se dégagent de leurs enveloppes et s’assemblent dans le petit salon, où elles fument des cigarettes ; les cavaliers s’efforcent de passer des gants blancs sur leurs doigts roidis par le froid. Voici les premiers accords d’une valse ; déjà les couples s’alignent et les cavaliers tendent la main aux dames.

Voilà la vie qu’on mène depuis un an. Les tables de jeu restent à demeure dans les salons, les longues pipes ne s’éteignent plus, les bouteilles vides sont formées en immenses carrés dans les caves, comme les bataillons de la garde à Waterloo. Et lorsqu’aux premiers rayons de l’aube Olga retourne à la maison, emmitouflée dans sa pelisse de zibeline et enfoncée dans les fourrures de son traîneau, ses cosaques à cheval la précèdent avec des torches dont la poix dégoutte et siffle sur la neige, et les autres traîneaux lui font escorte comme à une reine.