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s’abattre sur la haie, dont il fait ployer les branches. Olga pousse une exclamation de joie, et s’élance. Cinq des pauvres diables étaient par terre, lacérés, leur sang rougissait la poussière. L’un se débattait encore, tournait en rond, puis resta étendu, expirant avec les autres. Olga les ramassa et revint en courant, joyeuse. ― Cinq, j’en ai tue cinq, les voilà ! ― cria-t-elle en montant le perron. Elle rangea les victimes sur la balustrade, comme on range les cadavres des soldats après la bataille, avant la sépulture, et les regarda avec satisfaction. ― Cinq d’un seul coup ! répétait-elle ; j’ai eu la main heureuse.

Mihaël rechargeait l’arme ; mais sa femme devint silencieuse ; la tête dans ses deux mains, elle contemplait ses morts ; tout à coup de grosses larmes s’échappèrent de ses yeux.

― Qu’as-tu donc ? demanda son mari, effrayé.

― Ah ! dit-elle en se détournant, que c’est triste à voir, ces plumes tachées de sang et ces yeux éteints ! Et dire qu’ils ont peut-être laissé des petits dans leurs nids, qui les attendent et mourront de faim ! Voilà ce qu’a fait de moi l’existence que je mène. L’ennui nous rend féroces.

Mihaël éclata de rire ; sa femme trouva cette explosion horriblement déplacée. ― Tu ne veux pas comprendre, reprit-elle ; il faut donc que je dise toute ma pensée. Cela ne peut pas durer ainsi, à moins que tu n’aies juré de me sacrifier. Tu chasses tous mes amis, tu m’enfermes : la dernière paysanne a plus de liberté que moi. Je n’en peux