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amuser et nous adorer au besoin. C’est ainsi que sa vie s’écoulait sans nuage. Puis elle eut des enfants ; c’était une occupation. Son cœur n’avait jamais parlé ; parfois seulement, lorsqu’elle lisait des poètes, elle eut comme une intuition d’une autre existence, comme un vague désir qui la troublait et qui faisait courir le sang plus vite dans ses veines. ― Néanmoins sa vie serait toujours restée ce qu’elle était alors, si son mari avait su ne jamais laisser sa vanité sans aliments…

IV

Ce que je dis là est la vérité, reprit-elle en se tournant vers moi et me regardant à travers ses paupières frémissantes. ― Elle souriait avec malice, et sa voix était insinuante comme celle d’un enfant. Elle se leva lentement et s’approcha de la fenêtre, le visage tourné vers la lune. Sa tête était penchée en arrière, ses bras pendaient, elle était baignée de lumière ; les parfums et les voix de la nuit l’enveloppaient, la brise soulevait ses cheveux et jouait avec son vêtement.

― Je voudrais m’envoler, dit-elle enfin d’un ton d’inexprimable langueur. Elle étendit les bras, ses longues manches garnies de dentelles flottaient derrière ses épaules, semblables à des ailes d’ange.

L’impossible à ce moment me partit possible ; je cessai de raisonner. ― Pourquoi ne voles-tu pas ? demandai-je.