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Plus elle le voyait redouté des autres, plus Olga éprouvait de plaisir à voir cet homme énergique et actif occupé d’elle et à le faire souffrir. Elle assouvissait sur lui sa cruauté de vierge. Elle n’était satisfaite que lorsqu’elle voyait des larmes dans ses yeux ; alors elle lui tendait la main en disant : — Baisez-la, je vous le permets. ― Dans la cour, il y avait un chien hargneux qui l’agaçait toujours pour jouer avec elle et la tirait par sa robe. Elle le poussait du pied et le battait partout où elle le rencontrait, si bien qu’elle finit par l’aimer. Ainsi de son futur. Elle le maltraita tant qu’un beau jour elle se trouva dans ses bras, et reçut de lui le premier baiser.

Le lendemain, Mihaël arriva en calèche à quatre chevaux ; il avait son habit noir, et il était un peu pâle. En dix minutes, on avait tout arrangé : Olga était sa fiancée. Elle ne comprenait pas qu’il en pût être autrement ; elle faisait un bon parti, on l’enviait, c’était tout ce qu’il fallait.

Un soir, elle était assise avec Mihaël près d’une fenêtre ouverte, occupée à coudre pendant qu’il discourait sur l’avenir de la race slave. Tout d’un coup elle aperçut Toubal, pâle comme un mort, vomissant un flot de sang qui coulait de sa bouche sur ses vêtements. Il étouffait : ― Du sel, du sel ! disait-il ; c’était tout ce qu’il put articuler. Olga s’élança au buffet, et revint avec la salière ; Mihaël avait sauté par la fenêtre, soutenait le pauvre garçon dans ses bras, et se mit à lui introduire le sel dans la bouche par poignées. Toubal l’avalait avec effort, avidement ;