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Ici la somnambule, qui était restée immobile jusqu’alors et avait parlé d’une voix basse et monotone, fit un mouvement. ― Je ne puis raconter avec ordre, dit-elle, je vois trop de choses à la fois. Les images passent comme les nues chassées par le vent ; je vois tout, chaque ombre, chaque couleur, j’entends chaque son…

Une troupe de comédiens ambulants qui venait de Moldavie et allait en Pologne était de passage à Kolomea, et y donnait des représentations. La grande nouvelle avait couru de village à village, et le dimanche où ils devaient jouer pour la première fois tout propriétaire qui se respectait fit atteler ses petits chevaux à sa britchka pour y conduire sa femme et ses filles. Le théâtre était établi dans la salle assez vaste, mais un peu basse, de l’auberge, et avec leurs panaches les acteurs touchaient le ciel : leur public n’y regardait pas de si près. On jouait une tragédie, Barbara Radzivilovna. Ayant le lever du rideau, les jeunes gens s’étaient groupés autour d’un propriétaire qui était assis sur l’appui d’une fenêtre où il laissait pendiller ses jambes.

― Eh bien ! disait-il, où est donc cette beauté dont vous parlez tant ? Je ne vois rien de pareil jusqu’à présent. ― Les autres se mettaient sur la pointe des pieds pour épier la porte.

Enfin Olga entra dans la salle. ― C’est elle, dit Mihaël après une pause.

Il alla tout droit aux parents de la jeune fille, et se présenta lui-même. Son nom était fort connu ; il fut bien reçu. La mère eut pour lui un sourire des