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sue. L’instituteur était logé dans un pavillon du jardin et il mangeait à la table de famille. Il s’appelait Toubal. C’était un jeune homme timide avec de grands yeux ronds très myopes, des mains longues et minces : il portait un gilet rouge trop large que lui avait cédé le valet de chambre d’un comte ; mais sous le gilet rouge battait un cœur généreux, il eût facilement donné sa vie pour empêcher un petit chat de se noyer.

Quand Olga venait dans son pavillon, elle le trouvait accroupi sur une table, occupé à repriser son linge ou à raccommoder ses souliers ; il rougissait alors, balbutiait, se donnait l’air de chercher quelque chose dans la chambre. D’ordinaire il était d’une pâleur verte avec des taches de rousseur. Une fois assis à côté de son élève, c’était un autre homme : il tenait la règle au poing, appuyée sur la hanche comme un sabre de cavalerie ; sa voix vibrait, et dans ses yeux brillait un feu tranquille dont Olga sentait, sans le savoir, la chaleur. Parfois, à l’heure du crépuscule, Toubal tirait de dessous son oreiller un vieux cahier usé, et lui récitait des vers qu’il avait choisis dans les meilleurs auteurs ; son visage flétri semblait alors transfiguré, et sa voix avait une douceur pénétrante qui allait à l’âme.

Un jour, ― c’était la fête d’Olga, ― ses parents avaient invité quelques voisins à un bal de famille. Vers midi, Olga descendit au jardin afin d’y faire son bouquet pour la table. Tout à coup elle se vit en face de Toubal en pantalon et gilet blancs, cravate blanche et habit noir qui montrait la corde. Il était