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pille, se trahit, s’extermine en grand, sous couleur de patriotisme et de raison d’état !…

Le vieillard se tut pendant quelque temps. — Le grand mystère de la vie, dit-il enfin d’un ton solennel, veux-tu le connaître ?

— Parle.

— Le mystère de la vie, c’est que chacun veut vivre par la rapine et le meurtre, et qu’il devrait vivre par sa peine. Le travail seul peut nous affranchir de la misère originelle. Tant que chacun cherche à vivre aux dépens du prochain, la paix sera impossible. Le travail est le tribut que tu dois payer à la vie : travaille, si tu veux vivre et jouir. Et c’est dans l’effort qu’est notre part de bonheur. Celui qui se réjouit de ne rien faire est la dupe de son égoïsme ; l’ennui incurable, le dégoût profond de la vie et la peur de mourir s’attachent à ses pas.

… La Mort ! spectre terrible qui se dresse sur le seuil de l’existence, la Mort, accompagnée de ses sombres acolytes, la Peur et le Doute. Pas un ne veut se souvenir, songer au temps infini où il n’existait pas encore. Pourquoi donc craindre ce que nous avons été déjà et pendant si longtemps ? Partout la mort nous entoure, nous guette ; c’est pitié de voir chacun la fuir et implorer une heure de sursis ! Si peu comprennent que c’est elle qui nous apporte la liberté et la paix !

… Mieux vaudrait, il est vrai, ne pas naître, ou bien, une fois né, rêver jusqu’à la fin ce rêve décevant, sans être ébloui par ses fallacieuses et splendides visions, puis replonger ensuite pour jamais dans le giron de la nature !…