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malice ; dans ses yeux brillait la clarté tranquille d’une lumière supérieure.

— Et j’ai éprouvé de même la malédiction qui s’attache à la propriété… Née de la violence et de la ruse, elle provoque les représailles et engendre la discorde et les forfaits sans fin. L’infernale convoitise pousse les enfants de Caïn à s’emparer de tout ce qui est à leur portée ; et, comme si ce n’était pas assez qu’un seul accapare ce qui suffirait à des milliers de ses semblables, il voudrait s’y établir, lui et toute sa couvée, pour toute éternité. Et ils luttent, l’un pour prendre, l’autre pour garder ce qu’il a pris… Il étendit les bras comme pour repousser une vision terrible. Mais l’homme isolé ne peut soutenir le combat contre le nombre ; alors ils forment des ligues qui s’appellent communes, peuples, états. Et les lois viennent sanctionner toute usurpation. Et notre sueur, notre sang, sont monnayés pour payer les caprices de quelques-uns qui aiment le faste, les femmes et le cliquetis des armes ! La justice est faussée, et ceux qui élèvent la voix au nom du peuple, on les corrompt ou on les supprime, et ceux qui le servent le volent. Puis le volé s’insurge, et c’est encore la bestialité qui triomphe sur des ruines tachées de sang !…

… Les peuples sont des hommes en grand, — ni moins rapaces, ni moins sanguinaires. Il est vrai que la nature nous a donné la destruction pour moyen d’existence, que le fort a partout sur le faible droit de vie et de mort. Tous les crimes que la loi punit dans la vie privée, les peuples les commettent sans scrupule les uns sur les autres. On se vole, on se