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dont les murs étaient blanchis à la chaux, et qui avait pour tout ameublement une vieille table de jeu et cinq chaises de bois. La table était boiteuse ; une des chaises, chargée d’une pile de moellons, soutenait le coin défectueux. Quatre personnes, assises autour de cette table, jouaient aux tarots. Le propriétaire, un bonhomme trapu, aux traits fermes et obtus, avec des yeux bleus, petits et enfoncés, une moustache courte et sèche et des cheveux blonds taillés en brosse, se leva pour me saluer, et, gardant sa pipe entre ses dents, me tendit la main. Pendant que je répétais mon histoire et ma requête, il assembla son jeu en faisant de la tête un signe d’assentiment, puis se rassit et ne fit plus attention à moi.

Sa femme avait été dans la pièce voisine chercher un siège qu’elle plaça près du coin dangereux ; elle nous quitta ensuite pour donner des ordres, et j’eus tout loisir pour examiner la société.

Il y avait là d’abord le pope du village voisin, véritable athlète à cou de taureau, à face idiote, que l’eau-de-vie avait colorée de toutes les nuances possibles de rouge. Un sourire de pitié y était comme incrusté ; de temps en temps il prenait du tabac dans une tabatière ovale en écorce, et en bourrait son large nez retroussé, puis il tirait de sa poche un mouchoir bleu à ramages fantastiques, et s’essuyait la bouche. Il avait à côté de lui un voisin de notre hôte, un fermier bon vivant, en polonaise noire, qui ne cessait de chantonner du nez et fumait des cigares de contrebande très forts.