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à un navire avec ses voiles dehors, une maison blanche entourée de hauts peupliers. De temps à autre, la brise m’apportait un son chargé d’une pénétrante mélancolie. Je reconnus bientôt des fragments de la sonate du Clair de lune de Beethoven. C’étaient des larmes qui se répandaient en sons : tout à coup une dissonance désespérée, puis l’instrument se tut. Une centaine de pas me séparaient encore de la petite maison solitaire, dont les peupliers bruissaient tristement. Un chien agitait sa chaîne ; au loin, un ruisseau murmurait sa mélancolique chanson.

Je vis paraître une femme sur le perron. Elle vint s’accouder sur la balustrade, et ses regards sondèrent l’obscurité de la nuit. Elle était grande et svelte ; son visage pâle semblait devenir phosphorescent sous les rayons de la lune ; des cheveux noirs ramassés en un nœud magnifique retombaient sur ses épaules blanches. Le bruit de mes pas ayant frappé son oreille, elle se redressa, et comme je m’arrêtai au pied du perron, elle fixa sur moi deux grands yeux noirs humides. J’exposai mon cas ; il me fallait un gîte pour la nuit.

― Tout ce qui est à nous, monsieur, répondit une voix douce et profonde, est à votre disposition. Nous n’avons pas souvent le plaisir de recevoir un hôte chez nous. Montez.

Je gravis les marches de bois vermoulu, je pressai la petite main tremblante qui me fut tendue, et je suivis mon guide dans l’intérieur de la maison.

Elle me conduisit dans une vaste pièce carrée