Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Un traîneau ! Garde à vous ! cria Mrak, qui était à son poste.

Le tintement désolé résonnait tout près de nous, on entendait claquer le fouet du cocher et hennir les chevaux. — Halte-là ! cria la sentinelle.

— Halte-là ! répétèrent les autres, et ils arrivèrent en courant.

Le traîneau s’était arrêté. Écartant les peaux d’ours qui la couvraient, une femme vêtue d’une riche pelisse se dressa sur ses pieds. Lorsqu’elle eut soulevé la voilette de son capuchon, je pus voir qu’elle était très belle, mais horriblement pâle. Ses yeux bleus étincelaient de colère. — Que me voulez-vous ? s’écria-t-elle d’une voix étouffée.

— Passeport !

— Je n’en ai pas.

— Légitimation !

— Je n’en ai pas.

— Alors je vous arrête, dit Mrak, et il saisit les chevaux par la bride.

À ce moment, le capitulant s’avança, le fusil sur l’épaule, et tira Mrak à l’écart. On l’entoura, les têtes se rapprochèrent. — Laissons-la partir ! dit à mi-voix Balaban.

— La laisser… sans passeport… pourquoi ?

— Je la connais, reprit-il ; laissez-la partir.

— Je crois sans peine que tu la connais ! dit alors le vieux Kolanko avec un regard singulier. Vous pouvez la laisser partir, mes enfants.

Le capitulant était retourné près du feu, et tisonnait dans la braise. Les autres le suivirent un à un.