Page:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn, 1874.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pourtant, dis-je à mi-voix, aucune femme ne vaut ce qu’un homme souffre pour elle !

— Sans doute, monsieur ; aucune femme ne mérite le sentiment qu’elle inspire, — excepté une mère ; mais, pour revenir à l’autre, — quel est donc son crime ? Je ne suis pas né sous une heureuse étoile, voilà tout. Et puis d’ailleurs tant d’autres, qui ont aimé et ont pu se marier, où en sont-ils à présent ? Si elle était devenue ma femme, j’aurais peut-être fini par la battre… L’un vaut l’autre…

Je hochai la tête.

— Qu’est-ce qui vous étonne, monsieur ?

— Que vous ne parlez que de cet amour matériel, tandis que vous donnez vous-même l’exemple d’un sentiment bien différent.

— Je n’ai rien dit contre l’amour désintéressé ; ce n’est pas moi qui le blâmerai. Un homme peut bien donner son cœur, si cela lui fait plaisir ; pourquoi pas ? Une femme ne le peut pas. Mon cheval aussi me regarde avec des yeux presque humains, comme s’il voulait me parler, mais il ne peut que me caresser ; il en semble tout attristé, et pourtant demain il portera tout aussi gaîment un autre cavalier. Faut-il leur en faire un crime ? Celui qui a un pareil amour au cœur doit se résigner à temps, ou bien s’attendre à être dupé de la belle façon, car la femme traite l’amour comme le Juif son commerce.

— Qu’est-ce vous dites là des Juifs ? chevrota mon cocher.

Balaban le regarda et cracha. — Toute notre sa-