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savait lire. Alors le juge leur dit : « Allez chercher Balaban ; c’est un vieux troupier, il n’ignore pas sans doute de quoi il retourne là dedans. » J’arrivai donc, et je leur en fis la lecture. En tête, il y avait : À tous les Polonais qui savent lire[1]. Cela me fit rire aux éclats, car d’abord il n’y avait pas un Polonais parmi nous, et ensuite pas un qui sût lire, moi excepté. Vous vous rappelez sans doute ces comédies. « La servitude et la robot, nous disait-on, avaient eu pour origine la violence et l’injustice, car autrefois tous les hommes avaient été égaux, et les nobles avaient été des cultivateurs comme nous ; ils nous avaient assujettis et avaient fini par vendre la terre au Moscovite, au Prussien et à l’empereur, dont les fonctionnaires allemands, de concert avec les nobles, écorchaient et pressuraient le paysan. L’empereur ne connaissait point le paysan polonais, et lui vendait fort cher le sel et le tabac, afin de vivre grassement à Vienne. Il n’y avait plus d’espoir qu’en Dieu, mais il fallait que tout le monde prît les armes. Les nobles reconnaissaient leurs torts, ils étaient prêts à marcher avec les campagnes contre l’empereur pour chasser tous ses fonctionnaires. »

Il y avait du vrai dans ces raisonnements, et cela nous plut ; cependant, nous disions-nous, qui est-ce qui nous opprime, sinon les nobles, et qui nous protège tant bien que mal, si ce n’est les fonctionnaires et notre empereur ? Et personne ne voulut avoir affaire aux Polonais. — Si vous écoutez les nobles,

  1. Titre d’un manifeste du comité national de 1846.