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— Oui, répondit timidement le capitulant.

— Et vous n’avez jamais cherché à vous venger ?

— Pourquoi ? dit-il à demi-voix. Cela devait arriver. À qui voulez-vous que je m’en prenne, si je suis un homme et si elle est femme ?

— Alors vous n’avez jamais eu votre revanche ?

— Si, dit-il, après avoir réfléchi un peu. Ce fut en 46, au mois de février, l’année où notre pays a tant souffert par suite de la révolution polonaise. Je me trouvais encore en congé. L’hiver était rude ; dans la nuit, il était tombé beaucoup de neige, et il n’y avait plus de route… Attendez ! cela vient plus tard. Il faut d’abord remonter un peu plus haut. Depuis longtemps, le pays était en émoi ; les propriétaires allaient et venaient dans leurs voitures, on parlait d’armes cachées. Un jour, il y avait pas mal de paysans réunis au cabaret de Toulava, parmi eux le juge, lorsqu’on voit entrer le seigneur, qui leur dit : « Voulez-vous prendre parti pour nous autres, ou de quel bord êtes-vous ? Si vous êtes pour nous, réunissez-vous tous cette nuit derrière l’église ; je vous amènerai des tireurs avec des carabines, et je marcherai à votre tête. » — Le juge répondit : « Nous ne sommes pas pour vous ; nous sommes avec Dieu et avec notre empereur ! » Là-dessus, le seigneur s’en va, et le juge dit aux paysans : « Mes enfants, que personne de vous n’aille soutenir ces bourreaux, ces nobles ! »

Notre seigneur, — le même qui avait épousé ma Catherine, — avait aussi laissé un papier sur la table du cabaret. Tous l’examinèrent, mais personne ne