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Je la regardai dans le blanc des yeux.

— Est-ce que tu oserais me toucher ? s’écria-t-elle en éclatant.

— Oh non ! répondis-je ; va-t-en au diable !

Parfois aussi je fus envoyé à la forêt pour abattre du bois. Là j’étais à mon aise. Quand le souffle du vent secouait les cimes et faisait ployer les herbes, que les pics frappaient sur l’écorce en mesure, qu’un milan planait sur ma tête, remuant à peine l’aile de loin en loin et poussant un cri rauque, alors je restais couché sur le dos, regardant le ciel, et n’avais plus de chagrin. Il y eut pourtant des jours où je broyais du noir ; j’avais creusé un trou sous les racines d’un chêne, j’y enterrais mes économies, sou par sou, afin d’acheter un fusil. Il m’aurait fallu attendre longtemps !

Une fois dans la forêt, je fis la rencontre d’une vieille baba[1], la Brigitte de Toulava, qui venait cueillir du thym. Lorsqu’elle m’aperçut, elle joignit les mains. — Comment ? vous êtes là, Balaban, à couper les arbres, pendant que le seigneur fait de votre Catherine sa mentresse ?

— Ah çà ! répondis-je, est-ce qu’il l’aurait prise chez lui par hasard ?

— Sans doute, reprit-elle. Mon doux Jésus, quelle histoire ! La femme de charge a dû quitter la maison dès le premier jour, le seigneur l’a chassée. C’est cette Catherine qui commande à présent. La semaine dernière, j’apporte des champignons à la cuisine,

  1. Vieille sorcière, — gâteau de Pâques.