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de belles robes, des pierres fines ; à cette heure au contraire, bien souvent je n’ai pas de quoi m’acheter un ruban. Je pourrais rouler carrosse, si je voulais, à quatre chevaux comme une princesse ; mais je ne veux pas… — Elle n’osait pas encore lever les yeux.

— Regarde-moi ! lui dis-je.

Elle m’obéit, mais son regard était froid, craintif, incertain. — Je ne l’écoute pas lorsqu’il me parle, reprit-elle avec volubilité ; je l’ai aussi menacé de le frapper, s’il m’embrasse.

— Il ne t’en a pas moins embrassée, répondis-je, et tu ne l’as point frappé.

— Je ne veux pas de lui, s’écria-t-elle ; il le sait, et il s’en venge. Maintenant mon père ne peut plus le contenter en rien ; il finira par lui retirer son bail, et par nous chasser du village comme des mendiants, comme des voleurs.

— Il n’en a point le droit. — Je lui expliquai ce qui en était. — Ne perds pas courage, lui dis-je. Si le bon Dieu nous donne la bénédiction, peu importe que le diable serve la messe. N’aie pas peur, ma mignonne, ma chère âme, ma petite caille ! M’aimes-tu toujours ? Tiens bon, reste ferme !

Alors elle fondit en larmes, et se mit à sangloter si éperdument que le cœur me fendait de pitié. — Je ne pourrai pas, s’écria-t-elle. — Une alouette s’éleva du champ voisin. — Vois-tu l’alouette ? me dit-elle tristement : elle monte au ciel ; hélas ! si je pouvais la suivre !

— Je t’en prie, ma petite Kassya, répondis-je, ne me dis pas ces choses-là ; reste avec moi.