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quelque chose de… comment dirai-je ? de si noble ! Dans le parc du château, il y avait une femme de marbre, une déesse des anciens temps : c’était la même tête, c’étaient les mêmes traits sévères,… ah ! une femme belle et gaie comme les eaux de la Czernahora[1] pendant l’été. Il était difficile de ne pas l’aimer. Elle était vraiment l’être que j’aimais le plus au monde. Je pouvais lui parler comme j’eusse parlé à ma mère, lui dire tout, lui confier tout ; avec elle, je n’avais ni crainte, ni honte, ni orgueil. Parfois, la voyant à l’église, immobile comme une sainte, calme et recueillie, une ferveur inconnue s’emparait de moi, j’aurais voulu prier, je me confessais à elle de tout ce que j’avais sur le cœur. Elle connaissait chaque repli de mon âme : à Catherine et à Dieu, aucune de mes pensées n’était cachée. Et elle, elle était pour moi comme mon enfant, comme un oisillon que j’aurais pris dans son nid pour l’élever. Je n’avais qu’à la regarder, elle lisait dans mes yeux ma pensée, ma volonté… Catherine m’embrassait comme si ma mère m’eût eu baigné dans le miel, et plus d’une fois elle me mordit, le petit serpent… J’étais heureux alors. — Il se mit à sourire. — Je veux dire que, si j’y pense maintenant, j’étais alors un homme heureux ; mais je n’en avais point conscience. Il m’était impossible de me figurer que jamais il pût en être autrement.

L’hiver se passa ainsi, et le printemps approchait.

  1. Montagne-Noire, le plus haut sommet des Karpathes, situé dans le pays des Houçoules.